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Français à l’étranger au quotidien : entrepreneuriat des Français à l’étranger
Dans le cadre d’une série de 9 entretiens sur les thèmes majeurs concernant les Français établis hors de France, nous avons interrogé et Amélia Lakrafi et Roland Lescure respectivement députés de la 10ème et de la 1ère circonscription des Français à l’étranger ainsi que Charles Maridor, délégué général de la Chambre de Commerce et de l’Industrie (CCI) et directeur général des Entrepreneurs Français à l’Étranger (EFE) sur le thème de l’entrepreneuriat français à l’étranger.
Français à l’étranger : Charles Maridor, vous avez lancé une grande enquête pour mieux connaitre les entrepreneurs français à l’étranger, qui sont-ils ?
Charles Maridor : Le réseau que je représente regroupe l’ensemble des Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger dans 95 pays. Ces chambres rassemblent elles-mêmes les communautés d’affaires françaises à l’étranger et donc un certain nombre d’entrepreneurs français à l’étranger. Constatant la situation difficile que peuvent traverser un certain nombre de ces entreprises à l’occasion de la crise, nous avons pris l’initiative, avec les conseillers du commerce extérieur, de mettre en place un site dédié aux EFE. Sur ce site, nous hébergeons une enquête en ligne qui sera en continu sur toute l’année 2021 pour mieux cerner cette typologie d’entreprises et mieux évaluer leur importance et leur impact notamment pour le commerce extérieur de la France. Tous ces EFE sont, d’une façon, nos ambassadeurs, le « soft power » français et contribuent au développement du commerce extérieur de la France de manière directe ou indirecte.
FAE : Cette enquête vous permet-elle de dresser un portrait-robot des EFE ?
C.M. : Il est difficile de dresser un portrait-robot. Ces entrepreneurs sont à l’image de la France, dans des activités différentes avec des savoir-faire différents à mettre en avant. Ils ont un élément en commun : celui d’arriver en territoire inconnu et de démarrer une nouvelle aventure professionnelle.
FAE : Amélia Lakrafi, ont-ils du mal avec cette crise ?
Amélia Lakrafi : Oui, beaucoup. Dès l’été, nous avons eu beaucoup de remontées de terrain. Cela m’a permis de lancer une enquête de 4/5 questions et 400 EFE y ont répondu. Ils nous expliquent qu’ils souffrent beaucoup. Ils ont besoin d’aide sur des petits montants. En Afrique, plus de 50% d’entre eux n’ont besoin que de moins de 15 000€ et pour près d’un quart, seulement moins de 5 000€ pour passer la crise. Mais ils sont dynamiques et rebondissent très vite. Plus de la moitié de ceux qui ont répondu à ce questionnaire ont dit avoir créé un produit, une solution ou un service en lien avec la crise.
Roland Lescure : Un EFE est un entrepreneur au carré. En effet pour être entrepreneur il faut avoir envie de prendre des risques et, pour partir à l’étranger, aussi. Ce sont des gens variés qui ressemblent en général à la ville dans laquelle ils atterrissent. À Manhattan, il y a beaucoup de banquiers et d’avocats, à San Francisco des entrepreneurs de la Tech, à Boston des chercheurs etc. Chaque ville a sa typologie d’entrepreneurs. Ce qui les caractérise avant tout est le goût du risque car ils entreprennent souvent dans des milieux qu’ils ne connaissent pas trop. Beaucoup de Françaises et Français travaillent dans la restauration car ce secteur est une constante dans le monde. Ceux-ci souffrent de cette crise car les restaurants sont fermés presque partout. Il y a néanmoins une certaine créativité qui fait qu’ils souhaitent faire de cette crise une opportunité. Ils ont besoin d’aide même si, dans certains États comme les États-Unis ou le Canada, il y a eu beaucoup d’aides apportées. Il y a surtout une volonté de se réinventer pour continuer à exister. Certains rentrent en France malheureusement mais beaucoup souhaitent rester, se réinventer et profiter de cette crise pour repenser l’avenir.
FAE : Attendent-ils quelque chose de la France et faisons-nous assez pour eux ?
R.L. : La France a beaucoup fait pour les EFE, pour la solidarité entre ceux qui en ont besoin et pour la mobilité. Je pense que ce qu’ils souhaitent avant tout est de réussir sur place. S’ils sont partis c’est parce qu’ils souhaitent se frotter à l’aventure. Je ne pense pas qu’il y ait de demande générale de la France mais, comparé à d’autres communautés comme les Espagnols ou les Italiens, les Français gardent un lien très fort avec leur patrie. Ils demandent donc peut-être un peu plus d’aides que les autres mais ce sont avant tout des personnes qui partent pour conquérir le monde et qui le font, avant tout, de manière autonome et très positive.
A.L. : Certains se sont tournés vers la France. Ils s’adaptent à leur environnement mais, pour ceux qui sont dans le secteur du tourisme en Afrique notamment, il a fallu les aider. Avec 70 parlementaires, nous avons réussi à faire en sorte que Bruno Le Maire accepte de les aider avec l’équivalent d’un prêt garanti par l’État de 170 millions d’euros mobilisés pour eux. C’est inédit. Nos entrepreneurs français qui ont une entreprise locale peuvent donc demander un prêt dans une banque locale et être garantis à près de 80% par l’État français.
FAE : Est-il utilisé ?
A.L. : Il commence à être déployé doucement. Dix pays prioritaires ont commencé comme Madagascar, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, le Togo etc. Les entreprises qui ont réussi à l’obtenir sont très contentes.
FAE : Charles Maridor, vous êtes le directeur d’EFE international. Ce dispositif a été déployé depuis quelques semaines et il permet aux EFE d’avoir accès au Volontariat International en Entreprise (VIE). Comment cela fonctionne-t-il ?
C.M. : Dans notre association de la CCI et des conseillers du commerce extérieur, nous avons essayé de constituer une société commune. Elle associera les EFE qui portent la marque France et qui ont une activité étroitement liée à la France avec les VIE. Ce n’était pas le cas auparavant car ils ne disposaient pas du lien juridique nécessaire. Il y a beaucoup d’intérêt de la part des EFE dans le monde pour ce dispositif. Cette solution ne répond pas aux besoins de certains qui sont en manque de trésorerie mais c’est l’occasion de faire bouger les lignes et d’obtenir des pouvoirs publics français un soutien qui appuient cette initiative. Les VIE dans ces entreprises auront comme mission principale de développer le lien des EFE qui les accueillent avec la France. Nous aiderons davantage les entreprises qui n’ont pas encore ce lien mais qui souhaitent le développer.
FAE : Les EFE ont moins ce reflexe grégaire de chasser en meute que certains de leurs homologues italiens ou allemands notamment. Les startups de la Tech ont-elles permis de changer cela ?
R.L. : Oui, la « French Tech » a complètement changé l’image et la réalité de la collaboration entre les entreprises françaises. Dans ma circonscription en Amérique du Nord, ces entreprises se réunissent beaucoup, se mentorent et s’aident les unes les autres. Historiquement, les Français à l’étranger avaient moins cette habitude. Ils partaient et se débrouillaient seuls. Grâce à la fierté française qui est revenue depuis 2017, la France est redevenue attractive et les gens sont contents de s’afficher français. Dans la Tech, il y a cette volonté. Mais nous devons réfléchir à d’autres manières de le faire notamment pour la marque française de la nourriture. C’est un paradoxe car elle n’est pas très connue à l’international. Le vin et le comté le sont par exemple mais, en comparaison avec les italiens ou les espagnols, on voit qu’ils sont bien plus forts pour exporter leur marque nourriture. On parle de « French Tech », on pourrait également parler de la « French Food ».
FAE : Amélia Lakrafi, qu’est-ce-que l’Agence Française de Développement (AFD) ?
A.L. : Il s’agit de la banque de développement de l’État français. Elle a beaucoup fait depuis le début de la crise notamment en créant plusieurs outils pour venir en aide aux entreprises en Afrique par exemple car c’est dans ces pays qu’il y a le plus grand besoin. Dans ces outils, nous avons le Fonds Digital Africa de 15 millions d’euros qui accompagne 6 programmes pour mentorer et accompagner les créateurs d’entreprises. Il y a aussi l’initiative « Choose Africa » avec 2,4 milliards d’euros pour 10 000 startups africaines. En Afrique, 97% des startups n’ont accès à aucun financement. Financer 10 000 startups africaines est donc très ambitieux. Nous pouvons également nous féliciter sur la création d’un autre outil : celui d’un projet de loi voté à l’Assemblée nationale autour de l’aide au développement. Il vise à créer des conseils locaux stratégiques d’aide au développement présidés par les ambassadeurs dans lesquels nous pourrons intégrer les EFE. Ce projet pousse également l’AFD, dans des projets de financement de ponts et de routes notamment à favoriser autant que possible les EFE. Nous devons donc faire en sorte que nos entreprises puissent bénéficier de ce que l’AFD peut proposer.
FAE : Avez-vous un message que vous souhaiteriez adresser aux EFE qui nous lisent ?
C.M. : Ils doivent s’appuyer au maximum sur tous les réseaux existants dans les pays. Les Français ont une dimension individuelle et cette période a permis de resserrer les liens. Je souhaite également leur dire qu’ils doivent continuer à porter haut les couleurs de la France à l’étranger.
R.L. : Il faut les féliciter pour l’année difficile qu’ils ont vécu. Elle a même été difficile au carré car vous êtes entrepreneur et à l’étranger. Nous nous en sortirons collectivement grâce à des gens comme vous. Vous créez de l’emploi et vous faites rayonner la France alors merci, courage et continuez !
A.L. : Je souhaite les remercier et les féliciter. Je rejoins Charles : regroupez-vous autours des CCI et des associations. Il y a beaucoup d’acteurs à l’étranger qui ne sont pas forcément sollicités. Les EFE sont d’un créatif incroyable. Dans ma circonscription, ils sont aussi les plus généreux et des employeurs sérieux, éthiques et qui, pour la plupart, ont tout fait pour garder leurs salariés même s’il n’y avait plus de travail. C’est formidable et merci à vous d’être des exemples.